Éviter le piège du male gaze - Écrire des personnages féminins impactants

Male gaze, manwriting, ou encore White Male Writer™ : entre néologismes et théorisation, le regard masculin dans l’art se fait décortiquer de plus en plus volontiers, et le résultat est sans appel. Ya rien qui va.

À moins que votre texte soit entièrement axé sur vous, sans aucune mention d’autres protagonistes, vous pourriez avoir besoin de réfléchir à comment y intégrer des femmes, et à leur donner un minimum de profondeur. Voici 6 astuces de rédaction pour que vos personnages féminins soient aussi impactants que possible.

Homme habillé & regardeur / Femme, dénudée & regardée

Dans votre histoire, arrive le moment de déterminer les caractéristiques de vos personnages. Fiction, article-interview, passage de stand-up, tous les types de textes peuvent être concernés par une petite mise au point quand il s’agit d’y intégrer un personnage féminin. L’écueil le plus flagrant - et sûrement le plus répandu ? - serait celui de tomber dans le piège du male gaze, un procédé qui consiste à montrer les personnages féminins à travers le prisme d’un désir fabriqué et orchestré par et pour le regard masculin (plus précisément, blanc et hétérosexuel).

Le concept du male gaze, théorisé par Laura Mulvey, réalisatrice britannique et militante féministe, peut se traduire par une mise en scène qui nous indique qu’un corps est désirable. Gros plan de la bouche ou mention détaillée de la silhouette, au cinéma comme en littérature, fragmenter l’image pour se concentrer sur des parties de corps féminins est un procédé ultra vu et revu.

On pourrait même dire que le rôle traditionnel du personnage féminin est double : il est objet pour le personnage et pour les spectateur.ices qui se voient indistinctement dans l’obligation d’adopter ce regard unique. Problématique sociétale donc, que des autrices comme Alice Zeniter dans Je suis une fille sans histoire et Rose Lamy dans Défaire le discours sexiste dans les médias explorent et dénoncent.

Alors comment essayer de se défaire de ce réflexe bizarre qui consiste à détailler la taille de bonnet de soutien gorge d’un personnage avant de lui attribuer la moindre ambition ?

Le refuge ou l’allumeuse ?

2013 : Me voici, toute jeune relectrice, plongée dans un manuscrit rédigé par un ami qui me demande un avis neutre et pointu sur son histoire. Un moment du récit attire mon attention : le héros, en pleine course poursuite effrénée avec des monstres terrifiants, tombe nez à nez avec une femme en détresse. Au milieu de cette ambiance horrifique, à la dynamique tendue et aux enjeux plus qu’urgents, les cheveux de la femme, sa silhouette et ses attributs physiques y sont représentés avec détail. L'ambition de l’auteur est claire : s’assurer que tout le monde comprenne bien que la fille est hot.

Ni une ni deux, j’envoie un retour à l’auteur.

On apprécie la diplomatie (et l’utilisation du mot boobs)


Dix ans plus tard, j’ai toujours la même réaction quand je tombe sur un passage man mal écrit. Mais depuis ce mail, j’ai précisé et affûté les pistes d'amélioration que je propose aux auteurs et autrices (problème sociétal, on a dit !) pour déjouer le piège du male gaze :

  1. Questionner le recours au masculin pour les petits rôles

  2. Retarder la description de l’apparence

  3. Donner une utilité à chacune en dehors du refuge et de l’allumeuse

  4. S’imaginer une origin story

  5. Supprimer les hommes et voir ce qui reste

  6. Justifier l’objectification

Questionner le recours au masculin pour les petits rôles

Dans le cas d’une fiction, genrez vos personnages tertiaires intelligemment. Ces personnages, qui ne sont souvent définis que par leurs fonctions, n’ont jamais d’histoire, et ne font que passer le temps d’une scène ou d’une réplique. À moins que leur genre ait un intérêt pour l’histoire générale, faites en sorte d’équilibrer la mixité pour que le juge devienne la juge, et que l’infirmière devienne l’infirmier.

Retarder la description de l’apparence

A-t-on besoin de savoir que la femme de votre héros est blonde ? Sa taille a-t-elle un impact sur sa relation avec lui ? Faut-il nécessairement indiquer la façon dont sa poitrine bouge ?

Sans vouloir tout censurer, posez-vous la question du timing : la première fois qu’une femme apparaît dans l’histoire, est-ce que son apparence prend nécessairement le dessus sur son action ? Et pourquoi ? Dans l’exemple de la course poursuite que je mentionnais plus haut, je ne propose pas de ne pas décrire la jeune demoiselle en détresse, mais de retarder sa description pour la rendre plus légitime ; elle alimentera alors le récit, et semblera plus fluide, plus nécessaire.

Donner une utilité à chacune en dehors du refuge et de l’allumeuse

La femme refuge accueille le personnage, le console, l’aide, le rassure, le choie, l’embrasse, quand l’allumeuse l’attire, le challenge, l’irrite, le séduit, le provoque. Et entre les deux ? Rien ? Se questionner sur l’utilité réelle d’un personnage féminin peut vous permettre de sortir de cette binarité qui manque (un peu !) de modernité.

S’imaginer une origin story

Pas la peine d'inventer toute une vie à chacun·e de vos personnages ! Mais… quand même… ça aide. Si vous êtes en mesure de vous imaginer son enfance, son évolution, ses rêves, ses ambitions et ses failles, alors vous pourrez lui tracer un passage plus impactant dans votre récit. C’est d’ailleurs un exercice d’écriture intéressant à faire quand on est bloqué·e face à sa page blanche : imaginer ce que dirait votre personnage lors d’une interview, ou pourquoi pas, d’un interrogatoire de police ? Donnez de la profondeur aux femmes de votre histoire en vous imaginant toute la partie immergée de l’iceberg.

Supprimer les hommes et voir ce qui reste

Supprimer les hommes de votre histoire (temporairement !) permet de visualiser la portée de leurs actions et de leur vision sur les personnages féminins. En gros, si en supprimant un homme, 3 femmes n’ont plus d’utilité dans votre texte, alors alerte rouge, réécriture en vue. Ce n’est encore qu’un exercice d’écriture, qui peut largement impacter la façon dont vous tissez les liens entre les protagonistes et les intrigues.

Justifier l’objectification

Vérifiez bien que chaque scène un peu olé olé soit au minimum justifiée, au mieux nécessaire pour votre intrigue. Pour éviter l’exhibition gratuite de vos personnages féminins, questionnez-vous sur l’importance des détails : est-ce votre intention de montrer quelque chose de l’ordre de l’objectification de cette femme ? Si oui, bingo. Si non, bifurquez.

Alerte idée révolutionnaire

Pourquoi ne pas imaginer certains personnages neutres, et ne déterminer leur genre qu’à la fin ? Bonne ou mauvaise idée ?

A.

Cet article vous parle ? Parlez-en autour de vous !

Partagez - Commentez ;)

Liens pour cringe toujours plus fort

https://ruinmyweek.com/funny/men-writing-women-2019/

https://www.fastcompany.com/40553597/this-twitter-experiment-explodes-the-literary-male-gaze

Précédent
Précédent

Corriger une œuvre - L’art de donner son avis sans plomber l’ambiance

Suivant
Suivant

L'art de l’incipit : les premières phrases qui envoient du bois