Corriger une œuvre - L’art de donner son avis sans plomber l’ambiance

Write without fear, edit without mercy’ qu’ils disaient.

Sauf qu’une fois le texte relu, les notes prises et les améliorations suggérées, rien ne garantit que l’auteur·ice qui vous fait face se pâme de bonheur en vous félicitant pour votre fin jugement. Pire, iel commence à s’agacer. Aïe ! Pour sauver les meubles et proposer un feedback à la fois bienveillant et percutant, voici quelques pistes de réflexion.

Le roi des cons au pays des emmerdeurs

Si celui ou celle qui écrit bénéficie du statut plutôt flatteur de faiseur·se, celui ou celle qui corrige devient très rapidement l’emmerdeur·se de service, qui pinaille, qui chipote, et qui ferait mieux d’écrire directement son propre bouquin plutôt que de chercher la petite bête et de tourmenter les honnêtes gens (on parle ici de l’éditeur·ice au sens large, l’editor en anglais, en charge de la lecture à la correction jusqu’au développement de récit et la relecture finale.)

L’editor serait un être multiple, capable non seulement de repérer un adjectif mal accordé dans le texte X mais aussi de déterminer à quel moment le symbolisme de la mouette se trouve sous-utilisé dans le récit Y.

« [Il] doit être un caméléon qui s'imprègne d'une écriture afin de faire des propositions en accord avec le style de l'ouvrage, et non avec ce qu'il pense être la norme » selon Marie-Hélène Massardier, correctrice chez Gallimard.

Dans l’article de Libération titré Correcteurs à rude épreuve (et daté de 2010, alerte vintage !), le travail des correcteurs et correctrices est décortiqué, dans sa pluralité : travail collaboratif, quasi symbiotique avec une autrice à l’écoute et en demande, ou bien travail ardu, heurté, face à un romancier intransigeant… L’essentiel semble alors de « faire un trajet l’un vers l’autre ».

Et pour ce faire, quelques pistes seraient à considérer :

L'ego de tout le monde est en jeu

Les auteur·ices investissent émotionnellement leurs œuvres, et la critique entraîne parfois une réaction défensive. Une seule solution ici : tact et diplomatie.

Ceci dit, l’ego de la correction n’est pas en reste, et la limite est parfois fine entre suggestion juste comme ça et conseil à appliquer impérativement.

La critique est subjective

À l'instar de deux critiques culinaires qui auraient tantôt adoré tantôt haï le tartare de thon au menu d’un restaurant étoilé, les correcteur·ices font avec ce qu’iels sont : les différences de sensibilité stylistique peuvent se confronter, et la façon de travailler aussi. Dans l’épisode 7 de la deuxième saison de Friends from college, un editor et son author tentent une collaboration - mais leur processus de création/correction se heurte de facto à leurs habitudes et leurs sensibilités. Jusqu’à l’exaspération.

Communiquer, ça s’apprend

De feed, « nourrir » et back, « retour », l'action de donner du feedback pourrait revenir à produire des commentaires nourrissants, pour faire progresser le travail. Voici donc quelques astuces, inspirées du coaching d’équipe et de management, infusées de psychologie et de techniques d’influence, pour donner son avis professionnel à celles et ceux qui écrivent :

La technique du sandwich

Annoncer de but en blanc que la majorité du texte est à réécrire fissa risque au mieux de braquer, et au pire de donner l’impression démoralisante que tout est à jeter.

Alors pour éviter le conflit, les menaces d’abandons et les larmes dès les premières minutes de l’entretien, pensez sandwich : positif + négatif + positif. On prête souvent à cette technique une intention malveillante, à la limite de la manipulation, mais je trouve qu’au contraire, elle montre une volonté de nuancer son propos et de l’étoffer : Il faut réécrire tous les titres des chapitres” “L’idée de poser une question à chaque début de chapitre est un parti pris intéressant ! Il faudrait que l’on repense leur formulation, que l’on les réécrive, pour mieux coller au style général de votre histoire, et ainsi garder son aspect original et captivant.” Pas question ici de fausse flatterie pour piéger, mais plutôt une reconnaissance des points forts pour valider notre appréciation du travail effectué, ce qui renvoie à l’idée que chaque texte est hautement personnel : ce que l’éditeur·ice lit en 4 secondes et s’empresse de dégommer, c’était peut-être le résultat d’une semaine de tergiversations.

Éviter les critiques qui sonnent trop perso

Vous n’avez pas assez décrit les lieuxLes passages descriptifs doivent être développés.” Toujours mettre en cause le texte plutôt que l’auteur·ice ! Puisque selon le CNRTL, le principe de la critique est un examen raisonné des ouvrages de l'esprit et des productions artistiques qui s'achève par un jugement de valeur, mieux vaut porter ce dernier sur le texte uniquement, non ?

illustrer par des exemples précis

Je vois souvent revenir les mêmes mots, il faut supprimer les répétitions” “Page 17, paragraphe 4, je lis 3 fois le mot ‘terminé’, est-ce intentionnel ?” En utilisant des exemples concrets plutôt que des ressentis, on évite les malentendus, on clarifie, on structure, bref, c’est tout bénéf.

poser des questions à gogo

En lien direct avec le point précédent, j’ai toujours trouvé les questions très efficaces pour donner du feedback, avec un triple bénéfice :

  1. une critique adoucie et moins directe

  2. une opportunité pour celles et ceux qui créent de questionner leurs choix et de les justifier intelligemment

  3. et une ouverture à la discussion qui renforce le côté collaboratif du travail.

Donner une ligne directive sans s’éparpiller

S'inspirer de la Queen du feedback : un must pour s’entraîner à doser entre dictature de la correction et feedback mollasson. D’un point de vue d'éditrice, il me semble que si dans certains cas, les ajustements ne sont que propositions, dans la majorité, il ne faut pas hésiter à appuyer leur nécessité. Mais quelle limite mettre à notre propre projection ? C’est le positionnement de l’éditeur.ice qui serait ici la clé d’une correction de texte réussie : un équilibre délicat entre fermeté intransigeante et incertitude prudente. Une sorte de middle ground entre Meryl Streep dans Le Diable s’habille en Prada et Guillaume dans Nos Jours Heureux.

Régularité est mère de sûreté

Faites un point régulièrement avec vos client·es : donner des indications au fur et à mesure de la relecture serait bien plus digeste que de leur envoyer un gros pavé de critiques qui plombera la soirée/la semaine/l’année. Danse délicate entre la critique constructive et le respect du processus créatif, en privilégiant une approche graduelle, vous transformez chaque révision en une opportunité d'amélioration continue plutôt qu'en une épreuve insurmontable.

Remettre en jeu ses habitudes de feedback

L’agacement ultime ? Les gens qui nous expliquent comment faire notre métier. Et pourtant ! Rien de plus formateur que de les inviter à partager leur avis, pour évoquer des pistes d’amélioration. En vrac, quelques idées de questions à poser avant, pendant et/ou après la relecture : « Qu’avez-vous pensé de ce retour ? », « Qu’est-ce qui aurait pu vous permettre de mieux comprendre mes suggestions et d’appliquer mes conseils ? », « Quelle suggestion ne vous semble pas pertinente, et pourquoi ? ». Allez, on serre les dents et on lit le feedback des client·es. Rafraîchissant !

A.


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